Voici un texte que nous sommes heureux de présenter ici sur notre blog. Le sujet est « la justice ».
Son titre séduisant (Un tribunal espagnol a-t-il condamné un homme à 205 000 euros pour non-partage des tâches domestiques, comme l’affirme Sandrine Rousseau ?) en dit long.
Identifié sous le nom «d’anonymat
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Mercredi 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la députée écoféministe Sandrine Rousseau a affirmé sur Twitter qu’en Espagne, un tribunal avait condamné «un homme pour non-partage des tâches domestiques. 200 000 euros tout de même ! L’inégalité des tâches domestiques (comme les violences) sont le cœur du patriarcat». Un message relayant un article de RTL accompagné du hashtag #DelitDeTachesDomestiques.
En mars 2022, la finaliste de la primaire écologiste avait fait parler d’elle à la suite d’une interview pour le média Madmoizelle en émettant l’idée d’un «délit de non-partage des tâches domestiques» visant à donner les moyens aux femmes «de véritablement obtenir l’égalité sur le partage». En France, l’Insee indique que «le travail domestique (préparation des repas, courses d’alimentation, lessive) et le temps consacré aux enfants restent inégalement répartis entre les femmes et les hommes» et renvoie à sa dernière enquête «Emploi du temps», qui démontre qu’«en 2010, les femmes effectuaient les deux tiers des tâches domestiques et consacraient aux enfants un temps équivalent à plus du double de celui des hommes». Co-autrice d’un essai documenté sur le ménage à domicile paru en 2011 (Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, éd. Raisons d’agir), sa proposition d’un délit de non-partage des tâches ménagères lui a depuis valu de nombreuses critiques et caricatures de la part de ses adversaires politiques ou de journalistes lui reprochant de vouloir «regarder dans le lit des gens».
Mariés durant vingt-cinq ans
L’affaire qu’elle cite ne concerne cependant pas tout à fait un homme condamné pour un délit de «non-partage des tâches domestiques», qui viserait à punir un partenaire qui ne fait pas ou peu le ménage. Dans ce cas, il s’agit plutôt de la reconnaissance du travail effectué par cette dame. En Espagne, le délit de «non-partage des tâches» n’existe pas, nous confirme l’avocate Marta Fuentes, qui a défendu la femme indemnisée : «Ce monsieur n’est pas obligé de s’occuper du travail domestique, la somme versée est une indemnisation pour le travail qu’elle a effectué au sein du foyer.»
CheckNews a pu consulter le jugement publié le 27 février par le tribunal de première instance de la ville de Vélez-Málaga, qui condamne un homme à verser à son ex-épouse une indemnité de 204 624,86 euros «à titre de compensation pour le travail domestique non rémunéré effectué à domicile, dans le cadre du régime de séparation des biens». Le jugement indique que la femme bénéficiera également d’une «pension alimentaire» de 1 000 euros par mois (respectivement 400 euros et 600 euros pour ses deux filles), ainsi que d’une «pension compensatoire» d’un montant de 500 euros par mois pendant deux ans.
L’affaire est celle d’un couple marié durant près de vingt-cinq ans, ayant choisi le régime matrimonial de la séparation des biens. Cela signifie que les biens acquis avant ou pendant le mariage restent la propriété exclusive de chaque époux. L’homme a réussi à faire carrière en ouvrant plusieurs salles de sport, en montant des entreprises d’installation de parquet et de vente de matériel de musculation, ainsi qu’en achetant une propriété de 70 hectares produisant de l’huile d’olive et lui assurant de bons revenus.
La femme, Ivana aujourd’hui âgée de 48 ans, est présentée par le jugement comme s’étant «consacrée à l’entretien de la maison et des filles, avec tout ce que cela implique, ayant contribué occasionnellement à l’entreprise familiale» et qu’elle a un niveau d’études relevant de l’enseignement secondaire. Dans une interview à la radio Cadena Ser, elle affirme que son ex-mari «ne voulait pas non plus que je travaille à l’extérieur et m’obligeait à jouer un rôle limité à la maison». Me Marta Fuentes a également souligné dans la presse que cette femme avait suivi son ex-mari dans plusieurs de leurs déménagements qui ont permis la réussite professionnelle de l’époux.
Valeur des tâches additionnées
Résultat, à la suite du divorce en 2020, l’homme se retrouve avec tous ses biens, estimés à une valeur de plus de 5 millions d’euros par l’avocate de la plaignante, tandis que la femme se retrouve avec seulement la moitié d’une maison qu’ils ont mise en location. Face à déséquilibre, causé par le régime de séparation des biens, Ivana se retrouve lésée. Son avocate décide néanmoins de faire reconnaître le travail domestique effectué durant leurs vingt-cinq ans de mariage. La représentante a donc additionné la valeur de ces tâches en prenant en compte le salaire minimum pour chaque année, ce qui donne la somme de plus de 204 000 euros.
La défense, à qui la juge a donné raison, s’appuie sur l’article 1.438 du code civil espagnol qui stipule que «les époux contribuent aux charges du mariage. A défaut de convention, ils le font en proportion de leurs ressources financières respectives. Le travail domestique est considéré comme une contribution aux charges et donne aux époux le droit d’obtenir une indemnité que le juge fixe, à défaut d’accord, à la fin du régime de séparation».
Ce même article du code civil a permis à une autre Espagnole de recevoir une indemnité de 35 000 euros de la part de son ex-mari, en Galice. Le montant de plus de 200 000 euros semble cependant être une première en Espagne. Des décisions similaires ont également été rendues au cours des dernières années au Portugal, en Argentine ou en Chine.
Prestation compensatoire
Sur Twitter, plusieurs commentateurs ont signalé à Sandrine Rousseau que le dispositif espagnol existe aussi en France sous la forme de la «prestation compensatoire». Sur le site du service public, elle est présentée comme étant «le versement d’une somme qui a pour but de compenser» le changement important du niveau de vie d’un des époux à la suite d’un divorce.
Jointe par CheckNews, l’avocate Avi Bitton affirme que cette prestation prévue par l’article 271 du code civil «permet aussi d’indemniser l’épouse qui s’est investie dans le travail domestique ou l’éducation des enfants au détriment de sa carrière professionnelle». La loi française indique qu’elle «est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible». Pour son calcul, le juge prend en considération différents critères, tels que la durée du mariage, l’âge et l’état de santé des époux, leur patrimoine, leur situation professionnelle ainsi que «les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne».
Interrogée par CheckNews, l’avocate Me Muriel Guillain estime que la situation est légèrement différente du cas espagnol, puisque la prestation compensatoire française «est destinée à compenser une situation à l’issue du divorce, qui concerne l’avenir. La décision espagnole vise à accorder un salaire différé pour madame. On la paie pour le travail non rémunéré qu’elle a effectué». Observant le montant de 500 euros mensuels pendant deux ans décidés par le jugement espagnol au titre unique de la «pension compensatoire», Me Avi Bitton estime que «ça me paraît peu. En France, pour ces mêmes conditions, on aurait une compensation plus élevée», dont le montant pourrait s’approcher de la somme importante décidée par la justice espagnole.
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