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Éditorial de janvier 2023 – Blog officiel de l’UNIO

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By Editorial Team 
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Contrôles et contrepoids dans le contexte actuel de l’UE – comment aborder les affections nouvelles et anciennes à son fonctionnement institutionnel ?

Au cours des dernières semaines, l’actualité européenne a été entachée de gros titres révélant un scandale de corruption concernant un supposé pot-de-vin de fonctionnaires de l’UE. Parmi eux, la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili a été arrêtée dans le cadre d’une enquête belge, exigeant une réponse rapide de cette institution de l’UE. La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a abordé la question, soulignant que « les sociétés ouvertes, libres et démocratiques sont attaquées », ce qui a conduit à la suspension de Mme Kaili de ses fonctions de vice-présidente. Et, dans la foulée, le 15 décembre, un paquet de mesures de réforme a été annoncé pour être mis en œuvre en 2023. Il concerne le renforcement des systèmes de protection des lanceurs d’alerte du Parlement européen, l’interdiction des groupes d’amitié non officiels , la révision des modalités d’examen de la manière dont les députés respectent leur code de conduite et l’analyse exhaustive de leur interaction avec les pays tiers.

Outre ces mesures concrètes annoncées, une réflexion plus large et plus approfondie est nécessaire pour comprendre quels freins et contrepoids agissent au sein du noyau institutionnel de l’UE, à savoir : i) quels principes guident le fonctionnement du système institutionnel de l’UE et quelle est sa source de légitimité ? ; ii) pourquoi il est mentionné un équilibre institutionnel et non une séparation des pouvoirs ; iii) de quelle manière sui generis le cadre institutionnel assure un système de freins et contrepoids ; et iv) dans quelle mesure le principe de transparence peut-il être compatible avec l’efficacité du processus décisionnel de l’UE ?

La structure institutionnelle de l’UE a été influencée par la nécessité de promouvoir un équilibre entre plusieurs légitimités qui sont mobilisées dans son processus décisionnel, tout en poursuivant ses buts (articles 1 et 2 TUE) et ses objectifs (article 3 du TUE). L’UE – et ses institutions, organes et agences – doit promouvoir « une union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe » (article 1 TUE) tout en étant « fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité , l’État de droit et le respect des droits de l’homme » (article 2 TUE) et par les « moyens appropriés » dans le cadre des compétences « qui lui sont conférées par les traités » (article 3 TUE).[1]

Le cadre institutionnel de l’UE ne peut s’expliquer par le principe de séparation des pouvoirs puisqu’il n’est pas possible de différencier clairement la fonction législative de l’UE de sa fonction exécutive, les critères organiques ne pouvant être mis en œuvre comme il est d’usage dans les ordres juridiques nationaux[2] – et, au cours des dernières décennies, son cadre institutionnel s’est complexifié, les compétences de l’UE ayant également subi un processus de densification. Pour cette raison, plusieurs principes agissent au sein du cadre institutionnel de l’UE comme son propre ensemble de freins et contrepoids tout en permettant de caractériser l’UE comme une Union efficace fondée sur l’État de droit : i) équilibre institutionnel ; ii) une coopération loyale (dans les relations institutionnelles) ; et iii) la transparence.

Le premier principe – celui lié à l’équilibre institutionnel – a été déduit de l’analyse combinée de l’article 13, paragraphes 1 et 2, du TUE : tant que l’exercice de la puissance publique par l’UE ne se heurte pas à une stricte séparation des pouvoirs, cet exercice a dû chercher d’autres dynamiques discursives pour accommoder les différentes légitimités qui sont convoquées. En effet, le pouvoir législatif est confié au Parlement européen, au Conseil et à la Commission européenne, tandis que la fonction politique d’expression non législative repose sur l’action du Parlement européen et du Conseil européen[3]. En outre, lors des discussions sur le pouvoir exécutif, les États membres continuent de jouer un rôle de premier plan en raison de leur autonomie institutionnelle et procédurale [Article 291 (1) TFEU] que l’UE a élaboré afin de répondre à l’un de ses objectifs les plus chers, à savoir ses « décisions [being] pris […] au plus près du citoyen ».

De nos jours, le principe juridique de l’équilibre institutionnel agit comme un instrument pour faire de l’UE une Union de droit puisqu’il régit les relations entre les institutions, organes et agences de l’UE et considère que toute action entreprise par une institution, un organe ou une l’agence doit se conformer aux normes juridiques (à « l’État de droit ») et, en ce sens, elle ne peut pas extrapoler ses propres compétences telles que celles-ci lui ont été attribuées par les traités. Cela signifie deux impositions juridico-constitutionnelles découlant de ce principe : i) chaque institution de l’UE doit agir dans le cadre de ses compétences telles que définies par les traités ; et ii) chaque institution de l’UE doit exercer ses compétences dans le respect des compétences des autres institutions »[4].

Ces deux conceptions constitutionnelles se rapportent aussi directement au principe de coopération loyale (dans les relations institutionnelles). En fait, plus largement, ce principe découle de l’article 4, paragraphe 3, du TUE, établissant une influence complémentaire triangulaire dans les relations entre l’UE et ses États membres : i) les États membres doivent coopérer loyalement avec l’UE ; ii) cette dernière doit nouer des relations avec ses États membres sur la base d’interactions dignes de confiance ; et iii) les États membres doivent agir les uns avec les autres en visant une coopération sincère et loyale. Mais comme ce principe repose sur une caractéristique générale, il est également invoqué pour expliquer les relations institutionnelles dans le cadre de l’UE, car il découle littéralement de l’article 13, paragraphe 2, du TUE (qui est conforme à la jurisprudence antérieure de la CJCE, à savoir l’arrêt Parlement européen contre Conseil[5]). Avec cette approche, la coopération loyale revêt également une importance déterminante pour la caractérisation de l’UE en tant qu’Union de droit, car elle permet d’approfondir la confiance réciproque entre les institutions, organes et agences qui se sentent obligés d’agir de manière synergique et interdépendante, en renforçant les contrôles et équilibres au sein du cadre institutionnel de l’UE, en approfondissant la dimension matérielle d’une Union de droit.

Enfin, la transparence influence la manière dont l’UE peut être perçue comme une Union fondée sur l’État de droit : lorsqu’il est politiquement proclamé que toutes les décisions de l’UE doivent être prises aussi largement et participer que possible, les exigences de transparence ont influencé la proclamation d’un principe d’ouverture. [Article 15 (1) TFUE] et la reconnaissance d’un droit fondamental d’accès aux documents (article 42 CFRUE). En effet, selon la CJCE, « [t]e principe de transparence […] permet aux citoyens de participer plus étroitement au processus décisionnel et garantit que l’administration jouit d’une plus grande légitimité et est plus efficace et plus responsable devant le citoyen dans un système démocratique”[6].

Ainsi, outre l’accès aux documents, ce principe juridique de transparence comporte également d’autres dimensions, à savoir l’ouverture du processus décisionnel à de nouveaux acteurs ; l’explicabilité du cadre organisationnel face au dispositif institutionnel de l’UE ; et l’accès à l’information institutionnelle, en particulier lorsque le processus décisionnel est ouvert à l’influence de tiers (lobbying) – et ces dimensions peuvent encadrer doctrinalement les mesures à prendre pour faire face à ces problèmes émergents.

En fait, l’intervention institutionnalisée de tiers, détenteurs d’intérêts légitimes, dans les processus décisionnels de l’UE représente également une voie vers le consensus. Elle représente donc aussi le renforcement de la démocratie, dans la mesure où le consensus et sa recherche incessante seront les premiers objectifs poursuivis (au moins idéalement) par le fonctionnement démocratique des systèmes institutionnels. De plus, ce sera un moyen d’enrichir l’efficacité et la qualité des décisions. L’important est de réguler (comme cela a été fait) et d’institutionnaliser de manière transparente et, dans la mesure du possible, intégrées dans une dynamique de freins et contrepoids, ces apports de tiers (lobbying). La « contradiction » entre les différents intérêts exprimés (de manière transparente) au cours des processus de décision est importante, garantissant une meilleure clarification des décideurs et renforçant ainsi la transparence. Elle permettra également de mieux comprendre la dialectique des intérêts en jeu. Et – citant à nouveau l’affaire récente impliquant un ancien vice-président du PE – si toute tentative d’influencer les processus décisionnels est ordonnée et clairement définie, alors il n’y aura plus de « zones grises » équivoques dans lesquelles des intérêts illégitimes peuvent ou non être en jeu. Bref, tout ce qui se passe en dehors des interventions transparentes et institutionnalisées sera donc inadmissible.

Cependant, le chemin vers l’autonomisation incessante de la transparence et, par conséquent, de la démocratie, est en cours. L’institutionnalisation du lobbying est un bon exemple apporté par l’UE, qui n’existe pas toujours dans les systèmes juridiques internes des États membres. Il est clair que l’affaire qui concerne désormais le PE (ndlr, la seule institution pour laquelle on vote directement ; celle qui reproduit le plus les procédures de la démocratie formelle, interne et étatique) sera, avant tout, une simple « affaire policière » et pas exactement un cas de dysfonctionnement possible dans le fonctionnement institutionnel de l’UE. Et, le côté positif que révèle une telle affaire est que le contrôle des institutions et des autorités compétentes, ainsi que le fonctionnement ordinaire des mécanismes de défense du système, sont actifs. Suffisamment actif pour mettre rapidement fin (ou du moins exposer) à la pathologie détectée. Il s’agit, après tout, d’un exemple prometteur et positif du bon fonctionnement de l’Union.


[1] Sur ce thème voir Joana Covelo Abreu et Liliana Reis (eds.), Instituições, órgãos e organizations da União Europeia, Almedina, Coimbra, 2020.

[2] Voir à ce sujet l’arrêt de la CJUE République française, République italienne et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord contre Commission des Communautés européennes, 6 juillet 1982, affaires jointes 188 à 190/80, § 4 et 6. Selon le Royaume-Uni , en adoptant la directive attaquée, la Commission a violé les principes mêmes qui régissent la répartition des compétences et des responsabilités entre les institutions communautaires. Dès lors, il ressortirait des dispositions du traité régissant les institutions que tout le pouvoir législatif originel est dévolu au Conseil, tandis que la Commission n’a que des pouvoirs de surveillance et d’exécution. Cependant, la CJUE a décidé que cet argument n’était pas fondé dans les dispositions du traité régissant les institutions.

[3] Voir à ce sujet Maria Luísa Duarte, União Europeia. Estática e dinâmica da ordem jurídica eurocomunitária, Almedina, 2011, p. 137 ; et Tiago Sérgio Cabral, « Petit guide sur la procédure législative dans l’Union européenne », UNIO – Journal de droit de l’UE 6(1)2020.

[4] Voir à ce sujet Robert Schütze, Constitutionalism and the European Union, dans Catherine Barnard et Steve Peers (eds.), European Union Law, Third Edition, Oxford University Press, 2020, p. 94

[5] Arrêt de la CJUE Parlement européen contre Conseil, 30 mars 1995, C-65/93.

[6] Arrêt de la CJCE Volker et Markus Schecke et autres, 9 novembre 2010, C-92/09 et C-93/09, §68.

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