Évolutions récentes du droit européen de la consommation : l'(in)équité des frais

Le 16 mars 2023, la CJUE a rendu un autre arrêt sur l’interprétation de la directive 1993/13/CE sur les clauses abusives dans les contrats (UCTD), C-565/21 Caixabank SA c. X. Comme beaucoup auparavant, cet arrêt concernait également le crédit hypothécaire .

Cette affaire porte sur la validité d’une soi-disant « frais d’arrangement » qui a été facturée au consommateur pour un montant de 845 EUR. Selon la législation espagnole applicable, les frais d’arrangement désignent toutes les dépenses liées à l’examen de la demande de prêt, l’octroi et le traitement du prêt hypothécaire, ou d’autres dépenses similaires qui sont nécessairement associées à la demande de prêt. La loi exigeait que les frais soient une somme unique pour toutes les dépenses associées.

Il apparaît que cette lex specialis prévoyant des frais d’arrangement a causé une incertitude quant à la manière dont elle affecte les règles horizontales de la lex generalis de l’UCTD, et si la pratique des tribunaux espagnols consistant à donner la priorité à la lex specialis pour statuer sur la validité des frais d’arrangement est Conforme au droit de l’UE.7

La CJUE a profité de cette occasion pour clarifier la question et renforcer sa jurisprudence antérieure désormais établie et y apporter un nouvel ajout en se prononçant sur l’interprétation des articles 4(2), 5 et 3(1) de la UCTD.

L’évaluation de l’équité des frais d’arrangement est-elle exclue sur la base de l’article 4, paragraphe 2, de l’UCTD ?

Par sa première question, la Cour suprême espagnole de renvoi a essentiellement demandé à la CJUE de clarifier la portée de l’exception « objet principal » du critère d’équité. Comme nous le savons, si la clause constitue «l’objet principal du contrat» et est transparente, son caractère abusif ne peut pas être évalué sur la base de l’article 4, paragraphe 2, de la UCTD.

La prémisse de départ de la juridiction de renvoi était que la commission de dossier constitue, avec les intérêts compensatoires, le prix du prêt hypothécaire et relève donc de la notion d’« objet principal du contrat » et échappe à l’examen du critère d’équité. Sans tenir compte de l’approche quelque peu étrange consistant à considérer les frais d’arrangement comme un possible objet principal du contrat alors qu’il est plus probable qu’il s’agisse du prix et qu’ils relèvent donc de la deuxième branche de l’article 4, paragraphe 2, l’exception d’ »adéquation du prix », la CJUE a donné une interprétation utile de l’exception.

La CJUE s’est référée à sa jurisprudence constante et a noté que seules les clauses sont exemptées du test de loyauté en tant qu’objet principal du contrat qui définissent les obligations essentielles du contrat, qui, dans le cas d’un contrat de prêt, seraient le montant prêté et remboursé et les intérêts. Suivant cette approche, la CJUE a noté qu’en Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19), la CJUE a déjà jugé que la commission de dossier (espagnole) ne peut être considérée comme une obligation essentielle d’un contrat de prêt hypothécaire uniquement parce qu’elle est incluse dans le coût total du prêt .

La CJUE a ensuite souligné la nécessité d’interpréter la portée de l’exception de l’article 4, paragraphe 2, de manière restrictive et a conclu que l’obligation de payer de tels services ne peut être considérée comme faisant partie des obligations principales découlant d’un contrat de crédit. Il serait contraire à une interprétation stricte d’inclure dans la notion d’« objet principal du marché » toutes les prestations qui ne sont que liées à l’objet principal lui-même et sont donc accessoires. La CJUE a donc souligné une fois de plus que l’objet principal du contrat doit être l’obligation principale du contrat, qui dans ce cas serait le montant du prêt, en tant qu’obligation principale du prêteur, et le paiement de la les intérêts, en tant qu’obligation principale de l’emprunteur.

Quelle est la signification et la portée de la transparence en vertu des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la UCTD ?

La CJUE a jugé que, si la clause est rédigée dans un langage clair et intelligible au sens de l’article 5, la juridiction nationale, en tenant compte de tous les faits pertinents de l’espèce, doit vérifier si l’emprunteur a été mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques pour lui ou elle, de comprendre la nature des services fournis en contrepartie des frais prévus par cette clause et de s’assurer qu’il n’y a pas de chevauchement entre les différents frais prévus au contrat ou entre les services pour lesquels ces frais sont payés.

L’accent mis ci-dessus est l’évaluation fondée sur les faits concrets de l’affaire. Une commission d’arrangement ne devrait pas être considérée comme satisfaisant automatiquement à l’exigence de transparence découlant à la fois de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 si la clause satisfait aux exigences imposées par la législation nationale. La CJUE a souligné que la transparence doit être appréciée à la lumière de tous les faits pertinents, si l’emprunteur était bien en mesure d’évaluer les conséquences économiques pour lui qui découlent de cette clause, de comprendre la nature des services fournis en contrepartie pour les frais prévus par cette clause, et de s’assurer qu’il n’y a pas de chevauchement entre les différents frais prévus par la convention ou entre les services pour lesquels ces frais sont payés.

Très utilement, la CJUE a fourni une liste de circonstances que les juridictions nationales doivent, peuvent ou ne doivent pas prendre en compte pour statuer sur la transparence, que nous résumons et classons ci-dessous :

Informations/circonstances à prendre en compte :

  • le formulation du terme,
  • les informations que l’institution financière a fournies à l’emprunteur, y compris les informations obligatoires requises par la législation nationale,
  • la publicité en rapport avec le type de contrat conclu, en tenant compte du niveau d’attention que l’on peut attendre d’un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
  • matériel promotionnel fourni par une institution financière sur le type d’entente conclue.

Informations/circonstances pouvant être prises en compte :

  • Les informations que l’institution financière est tenue de fournir à l’emprunteur potentiel conformément à la législation nationale ; en général, les informations que l’institution financière a fournies à cet emprunteur lors de la négociation d’un accord sur les conditions contractuelles et les conséquences de la conclusion de cet accord
  • Attention que la moyenne consommateur verse à une clause relative à une commission de dossier, conformément à la jurisprudence, il convient de tenir compte, dans le cadre de cette appréciation, du niveau d’attention que l’on peut attendre d’un consommateur raisonnablement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Informations/circonstances à ne pas prendre en compte :

  • La connaissance générale des consommateurs d’une clause sans rapport avec la manière dont une telle clause est rédigée dans le cadre d’un accord particulier. Le fait qu’un tel terme soit notoirement connu n’est pas un facteur qui peut être pris en considération pour apprécier si ce terme est clair et intelligible,
  • Le libellé, l’emplacement et la structure d’un terme justifient la conclusion qu’il s’agit d’un élément essentiel de l’accord (au moins dans ce cas, car cela conduit à une hypothèse erronée selon laquelle il s’agit d’un terme essentiel).

La commission d’arrangement entraîne-t-elle un «déséquilibre significatif» au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la UCTD?

La dernière question posée à la CJUE était de savoir si les frais d’arrangement pouvaient être considérés en vertu de l’article 3, paragraphe 1, comme affectant directement l’équilibre contractuel des droits et obligations des parties au détriment du consommateur.

se référant à Baiser et CIB Bank (C‑621/17), la CJUE a précisé que, à moins que les services fournis en retour (les frais de dossier en l’espèce) ne se rapportent raisonnablement à des services fournis dans le cadre de la gestion ou du décaissement du prêt, ou que les montants imputés au consommateur au regard de ces frais et que les frais sont disproportionnés par rapport au montant du prêt, cela ne provoquerait en principe pas de déséquilibre significatif. Toutefois, cela devrait être vérifié par le tribunal compétent dans chaque cas individuel sur la base des faits de l’affaire.

Pour les mêmes motifs, une clause contractuelle régie par le droit national et instituant une commission d’arrangement aux services de remboursement relatifs à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt hypothécaire, n’apparaît pas, sous réserve de vérification par la juridiction compétente , de nature à porter atteinte à la situation juridique du consommateur, à moins que les services fournis en contrepartie n’entrent raisonnablement pas dans le cadre des services décrits ci-dessus ou que le montant facturé au consommateur au titre de cette commission soit disproportionné par rapport au montant du prêt .

Enfin, la CJUE a souligné que la pratique des tribunaux nationaux qui déclarerait simplement qu’une clause n’est pas abusive parce qu’elle est fondée sur le droit national applicable serait contraire au droit de l’UE et à la UCTD, car elle empêcherait les tribunaux nationaux d’exécuter, y compris de d’office, un examen du caractère éventuellement abusif des clauses concernées conformément à cette disposition et, par conséquent, ne permettrait pas d’assurer la pleine efficacité de la directive UCTD. Ce dernier point, celui qui a semé l’incertitude dans la pratique judiciaire espagnole, est quelque peu surprenant. Tout d’abord, elle semble aller à l’encontre d’un des principes fondateurs du droit selon lequel les règles spéciales prévalent sur les règles générales (lex specialis derogat legi generali). Deuxièmement, il aurait été utile d’examiner ici l’exception des « conditions obligatoires » en vertu de l’article 1, paragraphe 2, de la UCTD.