La Cour de cassation de Bahreïn explique les effets de la médiation sur la convention d’arbitrage

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La Cour de cassation de Bahreïn (« Cour de cassation ») a récemment examiné la relation entre l’arbitrage et une étape préalable de médiation dans sa décision du 19 juin 2023 dans l’affaire n° 815 de 2022.. L’affaire concerne une clause de règlement des litiges à plusieurs niveaux prévoyant une médiation puis un arbitrage. L’accord des parties dans cette affaire était cependant atypique, puisqu’elles stipulaient que l’évaluation, le rapport et/ou la recommandation du médiateur seraient définitifs et exécutoires. Cette affaire est intéressante car elle montre comment le droit de la médiation et de l’arbitrage évolue à Bahreïn. Il clarifie la position des tribunaux sur des questions vitales telles que le caractère exécutoire des clauses de médiation, le rôle des médiateurs et la valeur juridique des documents qu’ils produisent, ainsi que la relation entre les éventuelles étapes préalables de médiation et d’arbitrage.

Arrière-plan

Un ministère de Bahreïn a conclu un contrat avec une entreprise contractante pour le développement de la route Rifa’a Fulaij d’une valeur de plus de 20 millions de dinars bahreïnis (BHD). Le contrat des parties contenait une clause de règlement des différends à plusieurs niveaux prévoyant la médiation puis l’arbitrage. Une fois les travaux terminés, un différend surgit concernant le reste des paiements, ce qui conduit les parties à entamer une médiation. Les parties ne sont pas parvenues à un accord de règlement. Ils avaient cependant convenu, au moment du lancement de la médiation, que les évaluations et les rapports ou recommandations du médiateur choisi seraient définitifs et contraignants. Le médiateur a produit un rapport concluant que le ministère devait à l’entreprise 124 147,267 BHD. Devant le refus du Ministère de donner suite au rapport, la société a intenté une action en constatation de validité et d’opposabilité au rapport, pour lui donner force de titre exécutoire, et, à titre subsidiaire, a demandé le paiement de la somme qui lui était due en vertu de la contrat initial pour les travaux routiers.

Le tribunal de première instance de Bahreïn (« Tribunal de première instance ») a conclu que le ministère était obligé d’effectuer le paiement de 124 147 267 BHD. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Bahreïn (« Cour d’appel »), qui a estimé que l’application de la médiation était considérée comme une renonciation à la clause compromissoire. La Cour de cassation a toutefois infirmé ces jugements et conclu que le différend sur le fond devait être résolu par arbitrage.

L’arrêt de la Cour de cassation

En rendant son arrêt, la Cour de cassation a d’abord précisé la notion de médiation. Il a déclaré que, par principe et en vertu du décret législatif n° 22 de 2019 concernant la médiation pour le règlement des différends (« Loi sur la médiation »), la médiation est un mécanisme par lequel un tiers vise à rapprocher les parties en conflit les unes des autres afin de pouvoir parvenir à un règlement. Le processus serait considéré comme réussi si les parties parvenaient à un règlement grâce à ce processus, qui les lierait alors. Toutefois, si le processus échoue, chaque partie peut recourir au tribunal ou à l’arbitrage selon les conditions contractuelles respectives convenues.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a abordé différents points concernant : (i) l’accord de médiation ; et (ii) l’effet de la médiation sur l’arbitrage.

L’accord de médiation

La Cour de cassation a reconnu la force contraignante des clauses de médiation. Elle a estimé que de tels accords créent une obligation de s’engager dans un processus visant à faciliter un règlement par médiation. Dans le même temps, il a souligné le caractère non coercitif du résultat. Il existe une distinction entre médiateurs et arbitres, estimant que le rôle des médiateurs se limite à proposer des solutions aux parties, par opposition au rôle des arbitres qui sont habilités à rendre des décisions contraignantes concernant le différend.

Compte tenu du caractère prétendument contraignant du processus de médiation stipulé par les parties, on pourrait très bien se demander si les parties ont voulu que leur différend soit résolu par voie de médiation, quelle que soit l’utilisation du mot « »la médiation » dans leur accord. Cependant, bien que les parties aient convenu que les rapports et recommandations du médiateur étaient contraignants et définitifs, la Cour de cassation a estimé que le médiateur n’avait pas le pouvoir de rendre de tels documents contraignants ou d’imposer un règlement aux parties. Le raisonnement n’était pas clair. Il semble cependant que la Cour de cassation ait adopté une approche formaliste dans cette affaire. La Cour de cassation s’est appuyée sur sa compréhension des concepts généraux de médiation tels que définis par la loi sur la médiation pour passer outre l’accord exprès des parties plutôt que de trouver une interprétation conciliante qui pourrait rendre les deux accords effectifs.

L’effet de la médiation sur l’arbitrage

La deuxième question abordée par la Cour de cassation était la relation entre médiation et arbitrage. Il y avait deux problèmes principaux. Le premier concernait l’effet d’une clause de médiation sur la capacité d’arbitrer la réclamation d’une partie. La Cour de cassation a estimé que les parties dans un tel cas ne pourraient pas recourir à l’arbitrage avant d’engager une médiation. Il a en outre déclaré qu’un tel accord était contraignant pour le tribunal arbitral tout autant que pour les parties. Autrement dit, le tribunal arbitral doit respecter l’accord des parties et ne pas procéder à l’arbitrage du litige à moins que les parties n’aient d’abord eu recours à la médiation et n’aient pas réussi à parvenir à un règlement.

La deuxième question était la renonciation à l’arbitrage. La Cour de cassation a rejeté l’idée selon laquelle le recours à la médiation dans cette affaire constituait une renonciation à l’arbitrage. Elle a conclu que l’accord des parties pour que l’évaluation et/ou la recommandation du médiateur soit contraignante et ne constituait finalement pas une renonciation implicite à l’arbitrage. Toutefois, parvenir à un règlement par voie de médiation du différend entre les parties aurait constitué une renonciation à l’arbitrage. La Cour de cassation a estimé que la recommandation du médiateur ne pouvait constituer une renonciation implicite que si elle était ultérieurement adoptée par les parties dans un accord transactionnel. Cela suggère que tout règlement négocié serait considéré comme définitif et que, par conséquent, les parties ne seraient pas en mesure d’engager un arbitrage, au moins pour les questions sur lesquelles le règlement est réglé.

commentaires

L’arrêt de la Cour de cassation constitue une évolution bienvenue, affirmant la volonté des tribunaux de maintenir les étapes préalables de résolution des litiges comme étant contraignantes pour les parties et les tribunaux arbitraux. Certains points nécessitent cependant encore des éclaircissements. On ne sait toujours pas si les tribunaux de Bahreïn considèrent ces étapes comme des conditions de recevabilité d’une réclamation ou de compétence d’un tribunal arbitral. Cela peut avoir des implications cruciales sur les sentences potentielles qui pourraient être obtenues sans se conformer au préalable aux étapes préalables de résolution des litiges.

Les tribunaux bahreïnites semblent également disposés à ajuster et à maintenir les clauses de règlement des différends pathologiques dans la mesure où elles peuvent donner un sens à ce que les parties ont dû vouloir. Cela serait conforme à l’article 125 du Code civil 19 de 2001. qui traite de l’interprétation des contrats. Cet article prévoit que, lorsque les termes d’un contrat sont clairs, il ne peut être dérogé afin de déterminer, par voie d’interprétation, l’intention des parties. Mais lorsque des dispositions contractuelles doivent être construites, il est nécessaire de s’assurer de leur intention commune et d’aller au-delà du sens littéral des mots en tenant compte de la nature du contrat et de l’usage commercial. Cette affaire montre que la médiation est conçue comme un mécanisme non coercitif de règlement des différends visant à faciliter les règlements volontaires. Cette compréhension peut influencer la manière dont les tribunaux interprètent l’accord des parties en cas de doute. Si les parties dans leur accord tentent de modifier ce caractère non coercitif en donnant aux rapports du médiateur un effet contraignant et définitif, cela n’entraînerait peut-être pas la nullité de l’accord de médiation. Les tribunaux peuvent ignorer l’accord qui donne un tel effet aux rapports du médiateur. Mais elle peut néanmoins maintenir l’obligation de médiation.

Cette position peut être étayée par un autre jugement récent du tribunal de commerce de Bahreïn (« Tribunal de commerce ») rendu le 26 juin 2023 dans l’affaire n° 6/05353/2023/02., qui met en évidence l’influence des concepts généraux et des compréhensions des mécanismes de règlement des différends sur l’interprétation des clauses de règlement des différends. L’affaire concerne une clause d’arbitrage qui prévoyait que les différends seraient réglés par arbitrage à l’amiable et, en cas d’échec du règlement à l’amiable, le différend doit être résolu par les tribunaux de Bahreïn. Le Tribunal de Commerce a jugé que le terme «arbitrage amiable» a montré que les parties n’avaient pas l’intention de se soumettre à l’arbitrage mais souhaitaient plutôt un règlement ou une résolution à l’amiable sans recourir à l’arbitrage. En conséquence, le Tribunal de Commerce a conclu que la clause n’était pas une clause compromissoire et a donc rejeté la demande de désignation de trois arbitres. Le tribunal de commerce a également souligné la nécessité d’interpréter ces clauses de manière restrictive et conforme à leur nature. Bien que le tribunal de commerce n’ait pas abordé le caractère contraignant de la disposition de règlement des litiges dans cette affaire, il a démontré sa volonté d’élaborer des clauses de règlement des litiges de manière à les rendre opérationnelles et à respecter autant que possible l’accord des parties.

Par ailleurs, la Cour de cassation, en rendant son arrêt, a indiqué que parvenir à un règlement par médiation équivaudrait à une renonciation à l’arbitrage. Cependant, qu’entendait-on par «renonciation à l’arbitrage‘ reste pas clair. En effet, la conclusion d’un règlement aurait pour effet que la cause d’action en vertu du contrat initial cesserait d’exister et se fondrait dans le règlement. Mais la question qui se pose ici est de savoir comment les différends découlant du règlement lui-même devraient être résolus si l’accord de règlement ne comprend pas de clause de règlement des différends. Le jugement ne précise pas si les parties, en vertu du droit bahreïnien, devraient invoquer la clause d’arbitrage contenue dans le contrat initial ou recourir aux tribunaux nationaux pour résoudre les questions découlant du règlement. Cela dépendra probablement du libellé et de la portée de la clause compromissoire elle-même, dans la mesure où la compétence du tribunal arbitral repose sur le consentement des parties.