Ca circule sur le web : Justice : les conséquences de la disparition programmée des jurys populaires

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Voici les « bonnes pages » d’un éditorial que je viens de identifier sur internet. Le thème va bien vous intéresser. Car la thématique est « la justice ».

Le titre (Justice : les conséquences de la disparition programmée des jurys populaires) est évocateur.

Présenté sous la signature «d’anonymat
», l’écrivain est positivement connu pour d’autres papiers qu’il a publiés sur le web.

Vous pouvez ainsi donner du crédit à cette édition.

Une justice pour les citoyens sans les citoyens ? Depuis le 1er janvier, dans la quasi-indifférence générale, un héritage de la Révolution française va petit à petit s’effacer, avec la disparition programmée des jurys populaires dans plus de la moitié des affaires qui relevaient hier des assises.

La faute à la généralisation des « cours criminelles », un dispositif testé depuis 2019 dans quinze départements, officiellement pour réduire les délais de traitement de la justice et répondre au phénomène de « correctionnalisation » des viols, c’est-à-dire la sous-estimation volontaire de ces crimes, afin de les juger plus vite.

Sont visés par cette réforme tous les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion (en première instance), soit en grande majorité des affaires de viol (88 %). Pour ces dossiers, désormais, fini le recours à des citoyens tirés au sort. Seuls des magistrats professionnels officieront, cinq en l’occurrence, au lieu de trois juges et six jurés aux assises.

Une réforme décriée par Dupond-Moretti lorsqu’il était avocat

Prévue par la loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », adoptée il y a un an, cette mesure n’avait pas, à l’époque, suscité d’opposition très visible.

Mais depuis quelques semaines, personnels de justice et élus de gauche semblent avoir retrouvé de la voix pour dire tout le mal qu’ils pensent de cette généralisation des cours criminelles départementales (CCD), que le garde des Sceaux lui-même avait fustigée, quand il était encore avocat. « C’est la mort de la cour d’assises ! tonnait Éric Dupond-Moretti en mai 2020 sur France Info.  La justice est rendue au nom du peuple français et le peuple en est exclu. (…) C’est un projet de la chancellerie, fait par et pour les magistrats. On ne veut plus de jurys populaires dans ce pays. »

Depuis, le ténor du barreau est entré par la grande porte à la chancellerie. Et sa vision s’est adoucie. La réforme ne signifie « absolument pas » la fin des juridictions populaires, a tenté de rassurer le ministre sur RTL, le 22 décembre. Rappelant qu’  « en cas d’appel, l’affaire est jugée par la cour d’assises traditionnelle », il met surtout en avant la réussite supposée des expérimentations menées depuis 2019. « Quand on me dit “ça fonctionne bien, c’est audiencé plus vite, c’est susceptible de régler la correctionnalisation des viols”, le garde des Sceaux (que je suis) ne peut que dire : “On prolonge cette expérience et on la fait nôtre.” »

Des délais réduits mais toujours loin des objectifs affichés

Sauf que ce tableau paraît bien optimiste. Celui dressé en réalité par le comité d’évaluation et de suivi des cours criminelles départementales est plus nuancé.

Dans son rapport daté d’octobre 2022 et largement passé sous silence depuis par la chancellerie, ce comité, composé de plusieurs professionnels du droit et de quelques élus, est loin de plaider pour la généralisation immédiate du dispositif. Rédigé avec prudence, il réclame des « études supplémentaires » ou de « nouvelles évaluations », avant d’envisager d’appliquer la réforme à tout le territoire.

« En fait, rien ne montre que les objectifs de départ ont été atteints », résume le sénateur écologiste Guy Benarroche, membre du comité. « Sur la correctionnalisation des viols, on n’a pas d’outils de mesure, donc on ne sait pas. Sur les délais de traitement des affaires, il y a certes du mieux, mais avec des disparités territoriales énormes, et ce alors que tout a été fait pour montrer que cela marchait. »

D’après le rapport du comité d’évaluation, le délai d’audiencement d’une affaire serait passé de dix-huit mois en moyenne pour les cours d’assises à douze mois pour les cours criminelles départementales. Une vraie amélioration, mais loin des six mois fixés comme objectif par la loi.

« Sur le papier, c’est une avancée, reconnaît Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature. Sauf qu’elle a été obtenue en mobilisant beaucoup de magistrats du civil dans ces cours criminelles, par exemple des juges des enfants ou des affaires familiales qui, du coup, n’assuraient plus leurs tâches habituelles. On l’a vu à Nantes et à Toulouse. En réalité, l’institution n’a pas du tout les moyens d’appliquer une telle réforme. »

Un avis partagé par Ludovic Friat, son homologue de l’Union syndicale des magistrats. « Avec ces cours criminelles, on ponctionne une ressource rare », ce qui peut conduire à « l’embolie » d’une institution déjà très fragilisée, alerte le représentant syndical.

Moins de pédagogie et plus de pourvois en appel

Sur la durée des audiences aussi, les gains s’avèrent décevants. Le comité d’évaluation a analysé 387 affaires jugées par ces cours criminelles : celles-ci ont nécessité 863 jours d’audience, quand il en aurait fallu 982 en cour d’assises, soit une baisse minime de 12 %, quand le législateur espérait pouvoir se passer d’une journée d’audience sur les trois habituellement prévues aux assises.

« Ces économies sont largement perdues, car les cours criminelles suscitent un taux d’appel (21 %) supérieur aux assises classiques (15 %) », constate Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et membre du Syndicat des avocats de France. « Or, en appel, ce sont trois magistrats et neuf jurés qui sont mobilisés. On perd d’un côté ce qu’on gagne de l’autre. »

Par ailleurs, si ces décisions rendues par les cours criminelles semblent moins bien acceptées par les justiciables, cela ne doit rien au hasard, pointent les opposants aux cours criminelles.

« Avec ces cours, on rogne sur la qualité de la justice, explique Kim Reuflet.  En l’absence de jurés citoyens, le contradictoire et l’oralité des débats sont écornés, et les décisions moins bien expliquées. »

Une tendance qui devrait s’accentuer à l’avenir, craint Laurent Caruso, bâtonnier de l’Essonne. « Demain, tout pourrait se jouer lors de l’audience préparatoire, entre professionnels, ce qui donnera des décisions encore moins bien acceptées », dit l’avocat.

 Pour des raisons comptables […], on veut se débarrasser d’un acquis de la Révolution française » Benjamin Fiorini, universitaire

Fer de lance de la contestation menée contre ces cours criminelles et auteur de plusieurs tribunes sur le sujet, l’universitaire Benjamin Fiorini insiste sur le problème de fond posé par « l’effacement » des jurys citoyens, qui concernaient jusqu’ici environ 20 000 personnes chaque année.

« Pour des raisons comptables même pas démontrées, on veut se débarrasser d’un acquis de la Révolution française, d’un instrument de citoyenneté majeur et, au fond, du dernier espace démocratique qui permet à des juges et à des citoyens de rendre la justice, ensemble, au nom du peuple français. Exactement l’inverse de ce que viennent de préconiser les états généraux de la justice ! »

Sauf que la loi a bel et bien été votée et que cet élargissement à tout le territoire doit être lancé au cours de l’année 2023 dans les différentes juridictions.

Avec les contentieux liés à la « vague #MeToo », la justice risque l’asphyxie 

Serait-il trop tard, alors, pour s’y opposer ? Une proposition de loi « visant à préserver le jury populaire de cour d’assises », déposée par la députée EELV Francesca Pasquini et signée par les différentes composantes de la Nupes a bien été déposée en octobre 2022, mais elle ne devrait pas pouvoir être discutée avant la prochaine niche parlementaire écologiste, en avril 2023. « C’est un texte conçu de façon transpartisane, il est à la disposition de tous les autres groupes », invite l’élue verte.

Farouchement opposé à ces cours criminelles, son collègue Ugo Bernalicis (FI) peine à croire, pourtant, que cette proposition de loi pourrait être votée. « Pour cela, il faudrait que les élus LR la soutiennent, or je n’y crois pas. Allons plus loin et essayons d’inscrire dans la Constitution le fait que la justice est rendue au nom du peuple français », suggère le député insoumis.

La nature des crimes visés par ce dispositif pose aussi un problème particulier. « Les victimes de viol qui poursuivent leurs agresseurs n’ont pas besoin d’une justice expéditive, mais d’enquêtes approfondies, de magistrats bien formés et, au fond, d’une reconnaissance par la société de ce qu’elles ont subi, estime la députée EELV Sandrine Rousseau.  Ce n’est pas en écartant les jurés citoyens de ces affaires qu’on y arrivera, mais en mettant beaucoup plus de moyens sur la table. »

Pas sûr, face à l’ampleur de la vague #MeToo qui va déferler sur l’esquif judiciaire, que les 1 500 magistrats et 1 500 greffiers promis par l’exécutif d’ici à la fin du quinquennat suffisent à absorber ce contentieux massif. « Entre 2019 et 2022, le nombre de poursuites pour des crimes sexuels a déjà doublé, constate Kim Reuflet.  Et ce n’est que le début. Mais il ne faut pas cacher aux citoyens l’ampleur de cette vague. Les crimes sexuels doivent continuer à être jugés comme des crimes de sang. »

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