La double casquette et la divulgation insuffisante par les arbitres ont été des caractéristiques problématiques de l’arbitrage en matière d’investissement. La double casquette est généralement considérée comme une personne jouant simultanément le rôle de conseil et d’arbitre dans des affaires similaires. La vraie question est de savoir si ces préoccupations sont susceptibles d’affecter la capacité de l’arbitre à former un « jugement indépendant »», comme décrit dans la Convention CIRDI. Le projet de codes de conduite et commentaires de la CNUDCI (2022) a recommandé l’abolition de la double casquette tout en introduisant un régime de divulgation étendu. Le projet couvrait des codes de conduite pour les arbitres et les juges dans l’arbitrage en matière d’investissement. Il a été préparé pour répondre aux principales préoccupations liées aux différends en matière d’investissement et assurer la réforme du système ISDS. Le projet de code de conduite pour les arbitres dans les différends internationaux relatifs aux investissements a été adopté par la CNUDCI en juillet 2023. L’exemplaire préliminaire du Code de conduite de la CNUDCI à l’intention des arbitres chargés du règlement des différends internationaux relatifs aux investissements a récemment été publié. Dans la version finale, les recommandations visant à abolir la pratique de la double casquette restent pour l’essentiel les mêmes. Cet article affirme que ces propositions sont pratiquement inutiles car la double casquette devrait être considérée comme autorisée pour préserver l’autonomie des partis en éliminant le risque de conflit d’intérêts en imposant des exigences de divulgation substantielles. En outre, ces obligations de divulgation ont déjà été traitées de manière satisfaisante par le nouveau Règlement d’arbitrage CIRDI 2022. suite à la décision d’annulation en Eiser contre Espagne (2020). Après avoir discuté de la pratique arbitrale existante ainsi que des réformes mises en œuvre et proposées, cet article proposera quelques solutions comme alternatives à l’abolition de la pratique de la double casquette.
Préoccupations concernant la double casquette
Un arbitre peut devenir incapable d’aborder une question particulière de manière impartiale et indépendante en raison de ses opinions antérieures, conçues en tant que conseil dans une autre affaire. Un tel exemple peut être cité en référence à Emmanuel Gaillard. Il a fait valoir de la même manière qu’en tant qu’avocat du même demandeur dans l’affaire SGS contre Pakistan (SGS I) (2003) et SGS contre Philippines (SGS II) (2004) que l’effet de la clause parapluie était de transformer une réclamation contractuelle en une réclamation conventionnelle. Cet argument a été rejeté dans les deux cas. Couvrant une seconde casquette d’auteur d’un article, Gaillard a vivement critiqué le SGS II approche. Par la suite, le Consorzio contre Algérie (2005) Le tribunal (Gaillard étant membre) a adopté le point de vue de Gaillard sur la clause parapluie. Ainsi, les mêmes convictions de Gaillard concernant la clause parapluie sont passées de son mémoire écrit en tant que « conseil » à un article en tant que « chercheur » suite à une sentence en tant qu’« arbitre » en l’espace de deux ans. Cela illustre la possibilité qu’un arbitre soit influencé par son rôle d’avocat dans d’autres affaires. A l’inverse, en l’absence de faits précis indiquant que l’arbitre n’est pas en mesure de se distancier professionnellement des affaires dans lesquelles il agissait en tant que conseil, il présume en sa faveur qu’il est un professionnel du droit avec le capacité à garder une distance professionnelle. Ainsi, l’acte de double casquette ne donne pas automatiquement lieu à un conflit d’intérêts. Le juge Crawford a également reconnu que ces conflits ne sont pas « insurmontables ».‘ considérant la réalité pratique des arbitres d’investissement issus de cabinets d’avocats privés. Ce dernier point de vue offre une perspective plus significative tout en reconnaissant le caractère gênant des rôles multiples joués par les arbitres d’investissement.
Pratique arbitrale et obligations de divulgation
Saint Gobain contre le Venezuela (2013) et Ghana contre Telekom Malaisie (2004), analysés ensemble, démontrent l’inadmissibilité de la double casquette uniquement lorsque le double rôle est joué simultanément et impliquant la même partie. Cela est susceptible de soulever des doutes potentiels quant à l’indépendance de l’arbitre, indiquant son incapacité à « se forger librement une opinion sur le fond ». Dans RSE Holdings contre Lettonie (2022)l’arbitre a été disqualifiée en raison de son engagement en tant que conseil dans « un grand nombre d’affaires » impliquant des questions d’interprétation du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) qui se chevauchent malgré le fait qu’elle ne représentait pas les mêmes parties que les avocats dans d’autres affaires. Son rôle de conseillère dans d’autres arbitrages au titre du TCE, représentant « principalement » les investisseurs, exigeait « une divulgation complète et la prise en compte d’informations détaillées » concernant tous les autres arbitrages TCE dans lesquels elle était impliquée en tant que conseil. Dans Eiser contre Espagne (2020), le comité d’annulation a constaté une apparence manifeste de parti pris de la part de l’arbitre en raison de son incapacité à divulguer tous « les liens et interactions professionnels passés et présents » avec l’expert en évaluation. Par conséquent, la tendance commune qui ressort des décisions récentes est l’imposition d’une obligation permanente aux arbitres de divulguer de manière exhaustive tout conflit d’intérêt potentiel.
Réformes : mises en œuvre et proposées
Suivant le précédent Règlement d’arbitrage CIRDI de 2006, il n’y avait aucune stipulation de la part des arbitres de signer la déclaration révélant des éléments concernant leur indépendance lors de l’acceptation de leur nomination avant la constitution du tribunal. Cependant, en vertu du nouveau Règlement d’arbitrage CIRDI 2022, l’exigence simultanée d’accepter la nomination et de signer la déclaration avant la formation du tribunal leur a été imposée. Ainsi, les nouvelles règles de procédure ont fait de l’obligation de divulgation étendue une condition préalable à la fois à l’acceptation de la nomination et à la formation du tribunal, ce qui peut avoir été l’influence directe de Eiser répondre adéquatement aux préoccupations liées au manque de divulgation.
Le projet de Code de conduite de la CNUDCI (2023) contient l’article 3 sous la rubrique plus large de l’indépendance et de l’impartialité, avec des dispositions spécifiques dans les articles 4 et 11 traitant respectivement des rôles multiples et des obligations de divulgation. Sous réserve de l’accord des parties, l’article 4 interdit aux arbitres d’agir simultanément en tant que représentant légal ou témoin expert dans une autre procédure d’arbitrage pendant une période de trois ans après avoir exercé les fonctions d’arbitre. Ainsi, l’effet pratique de l’article 4 est l’abolition complète de la double fonction et des rôles multiples. Cette réforme proposée risque de porter atteinte aux droits des parties de choisir leurs arbitres possédant une vaste expérience et une expertise pratique.
Même si l’article 11 prévoit des obligations de divulgation substantielles, la plupart de ces caractéristiques ont déjà été introduites dans le mécanisme ISDS, qui tire son origine de Eiser. En vertu de l’article 11, la divulgation doit inclure toutes les relations financières, commerciales, personnelles et autres existant depuis cinq ans avec le personnel concerné. Dans Eiser, le partenariat du Dr Alexandrov au sein de la chambre de 2002 à 2017 a été envisagé. En outre, l’article 11 impose l’obligation de divulguer en cas de doute tout en rendant l’obligation de divulgation permanente. Cependant, Eiser a déjà rendu ces exigences obligatoires. Il est intéressant de noter que l’article 11 a introduit des « doutes justifiables » comme norme de divulgation qui trouve son fondement initial dans le Règlement d’arbitrage de la CNUDCI. 2021. La reconnaissance explicite de ce seuil inférieur dans l’arbitrage en matière d’investissement peut, à première vue, sembler avoir résolu la complication résultant de l’interprétation du terme « manifeste » à l’article 57 de la Convention CIRDI. Cependant, la pratique arbitrale récente du CIRDI depuis 2013 démontre l’adoption de la norme inférieure de la CNUDCI à travers la reconnaissance du Banque Bleue test. Le seuil d’« apparence de dépendance ou de biais » tel que défini dans Banque Bleue est similaire à la norme des « doutes justifiables » du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Cela a permis d’assurer l’uniformité des critères de disqualification dans les affaires CIRDI et non CIRDI (par exemple en vertu du Règlement de la CNUDCI). Par conséquent, les dispositions du Code de conduite de la CNUDCI (2023) qui traitent des obligations de divulgation n’ajoutent rien de fondamentalement nouveau au cadre existant.
Solutions alternatives
Les rôles multiples ne sont joués que par un très petit groupe exclusif de praticiens influents possédant une expertise exceptionnelle dans les litiges liés aux investissements. Le scénario de double haine est donc rare dans l’arbitrage investisseur-État. Cette pratique tout à fait exceptionnelle ne justifie pas la mesure drastique de sa suppression. Certaines solutions alternatives méritent plutôt d’être envisagées pour résoudre suffisamment le problème. Premièrement, les traités peuvent expressément répondre à cette préoccupation. Par exemple, l’Accord commercial économique global (AECG)) interdit aux arbitres « d’agir en qualité de conseil… dans tout différend en matière d’investissement en cours ou nouveau… ». Les investisseurs nomment généralement des praticiens de l’arbitrage expérimentés comme arbitres. Ainsi, cette récente réponse conventionnelle contre la pratique de la double casquette valide l’inquiétude des États concernant les praticiens agissant en tant que conseils. Notamment, ces traités n’interdisent pas aux universitaires et/ou aux anciens fonctionnaires d’agir en tant qu’arbitres, le groupe de personnes parmi lequel les États préfèrent choisir leurs arbitres. Par conséquent, une interdiction générale de la double casquette par le Code de conduite de la CNUDCI (2023) pourrait restreindre considérablement les options offertes aux investisseurs affectant l’égalité des armes. Deuxièmement, suite à Eiser, le Règlement d’arbitrage CIRDI 2022 exigeant la signature d’une déclaration comme condition préalable à l’acceptation d’une nomination constitue une évolution positive vers la garantie de l’équité. Enfin, certains commentateurs ont suggéré que si seulement 10 à 15 personnes acceptaient de mettre fin à la double casquette, les critiques concernant cette pratique disparaîtraient. Cela démontre que la double casquette n’est peut-être pas un problème pratique aussi important que le perçoivent certaines publications. Par conséquent, il n’existe aucun argument valable pour justifier substantiellement une interdiction totale affectant l’autonomie des partis en ce qui concerne la sélection des arbitres, car celle-ci reste au cœur du système ISDS.
Remarques finales
La pratique de longue date de la double casquette doit être considérée à la lumière de l’autonomie des partis. La pratique arbitrale actuelle a répondu prudemment à la question de l’indépendance en imposant des obligations de divulgation complètes pour éviter les situations donnant lieu à des conflits d’intérêts. Le Règlement d’arbitrage CIRDI 2022 a également traité de manière satisfaisante la même chose, renforçant la légitimité du processus. Comme nous l’avons déjà expliqué, les problèmes restants liés à la double chapeau peuvent être résolus de différentes manières plutôt que d’adopter une interdiction absolue. De ce point de vue, la mesure drastique d’interdiction complète de la double casquette telle que contenue dans le Code de conduite de la CNUDCI (2023) est inutile et injustifiée.