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L’étrange histoire de l’admission « conditionnelle » de l’État de Palestine à l’ONU – EJIL : Parlez !

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Le 10 mai 2024, l’Assemblée générale (AG) a adopté à une écrasante majorité la résolution ES-10/23 sur l’admission de l’État de Palestine aux Nations Unies. La résolution n’accorde pas l’admission. Ayant déterminé au point 1 du dispositif que l’État de Palestine remplit les conditions d’admission en vertu de l’article 4(1) de la Charte, l’Assemblée générale « recommande au Conseil de sécurité (CS) de réexaminer la question favorablement, à la lumière de ce qui précède. détermination et de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 28 mai 1948, et en stricte conformité avec l’article 4 de la Charte » (paragraphe 2). En vertu de l’article 4(2) de la Charte, le pouvoir d’admettre un nouvel État est une prérogative de l’AG, mais sur recommandation du CS.

Les raisons de cet apparent renversement de procédure peuvent être facilement expliquées à la lumière de diverses références dans la résolution. Le 18 avril 2024, un projet de résolution du CS recommandant l’admission de l’État de Palestine aux Nations Unies (S/2024/312) n’a pas été adopté. Il a reçu douze voix favorables, des abstentions du Royaume-Uni et de la Confédération suisse et une voix contre des États-Unis. En justifiant leur vote, qui s’est soldé par le rejet de la proposition, les États-Unis ont indiqué de manière générale que la Palestine ne répondrait pas aux critères de l’article 4(1) de la Charte. Cependant, en expliquant leur vote, les États-Unis ont précisé que « ce vote ne reflète pas une opposition à la création d’un État palestinien, mais plutôt une reconnaissance du fait qu’il ne viendra que de négociations directes entre les parties. » Les États-Unis ont également réitéré cette position lors du débat à l’Assemblée générale. Le représentant permanent des États-Unis auprès des Nations Unies a souligné que « la création d’un État résultera d’un processus impliquant des négociations directes entre les parties ».

Il est plausible de croire que cette position, certes ambiguë, rassemble deux revendications difficilement conciliables : le soutien à la reconnaissance de l’État palestinien, conformément au modèle à deux États, et le soutien à la position du gouvernement israélien. , hostile à une telle solution. Quoi qu’il en soit, il apparaît que les États-Unis ont clairement indiqué que leur vote défavorable dépendait, au moins en partie, de l’absence de consentement d’un État tiers, condition supplémentaire aux exigences de l’article 4(1).

Il existe des éléments permettant de comparer ce cas à un autre survenu à des époques lointaines, relatif à la prétention de certains États de faire dépendre l’issue de la procédure d’admission de conditions politiques différentes de celles fixées par l’article 4(1). Cette impression semble confirmée par la résolution ES-10/23, qui, au paragraphe 2 de son dispositif, faisait référence à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 28 mai 1948 sur la Conditions d’admission d’un État à l’Organisation des Nations Unies (Article 4 de la Charte) (CIJ Recueil 1948, p. 57). Cet avis consultatif, demandé par l’AG, concerne le comportement d’un membre qui entendait subordonner son vote à l’admission simultanée d’autres Etats candidats.

La question était sans doute controversée en 1948 et le reste aujourd’hui. Il s’agit d’un dilemme juridique difficile à résoudre, lié à la nature de la Charte et à son ordre juridique. D’une part, la vocation universelle des Nations Unies exige que l’admission d’États soit soumise aux seules conditions fixées à l’article 4(1), parmi lesquelles le caractère « épris de paix » de l’État acquiert un caractère prédominant. En revanche, il est difficile de restreindre le pouvoir discrétionnaire des principaux organes politiques des Nations Unies au point de leur imposer l’obligation légale d’accorder l’admission lorsque ces conditions sont remplies.

Dans son avis consultatif de 1948, la CIJ a estimé que les conditions d’admission énoncées à l’article 4(1) sont exhaustives. Par conséquent, lorsque ces conditions sont remplies, le pouvoir discrétionnaire politique des organes de l’ONU cesse et l’obligation d’admettre l’État candidat est imposée. L’avis indique clairement que « (le) caractère politique d’un organe ne peut le soustraire au respect des dispositions conventionnelles établies par la Charte lorsque celles-ci constituent des limitations à ses pouvoirs ou des critères pour son jugement ».

Bien que non dénuée de cohérence théorique, cette solution reste fragile dans la pratique, notamment en ce qui concerne les critères permettant de déterminer les raisons d’un vote défavorable. Consciente de cette difficulté, la Cour a précisé que les « conditions supplémentaires » seraient uniquement celles exprimées dans les explications de vote des États devant les organes des Nations Unies. Il serait donc impossible que ces conditions proviennent d’autres sources révélatrices des intentions des États ou même d’investigations psychologiques ou déductives (p. 7).

Même avec cette clarification, qui cherche à objectiver les « conditions supplémentaires », l’absence de recours juridiques rend assez controversée l’existence d’une obligation légale de proclamer l’admission à l’ONU. Il n’est pas surprenant que, de 1948 à nos jours, la question n’ait émergé que de manière épisodique.

La résolution de l’Assemblée générale du 10 mai pourrait combler cette aporie logique. Après avoir déterminé que l’État de Palestine remplit les conditions d’admission établies à l’article 4(1) et après avoir pris note de l’absence de recommandation du CS, qui est une condition préalable à l’admission par l’AG, la résolution a adopté des « modalités » pour impliquer cet État. l’État dans les activités de GA, en lui conférant des pouvoirs et prérogatives particuliers, dont beaucoup sont intimement liés à la statut d’un membre.

Par conséquent, l’exercice de ces pouvoirs et prérogatives, soigneusement précisés en annexe, pourrait, même dans le cadre limité des attributions de l’AG, équivaloir à la statut de l’État de Palestine avec celui d’un État membre. La seule restriction immédiatement perceptible concerne le droit de vote, droit empreint d’une haute valeur symbolique. Cependant, cette limitation pourrait être largement compensée par le pouvoir de contribuer à la formation et à la mise en œuvre des actes de l’AG sur un pied d’égalité avec les États membres.

Il n’est pas facile de décrypter la signification juridique de ces mesures. Tout en proclamant sa conformité à l’article 4(2), l’AG a vidé une partie importante de son contenu. Il existe en effet une nette divergence entre la résolution et l’article 9 de la Charte des Nations Unies, qui stipule que « (l)’Assemblée générale est composée de tous les membres des Nations Unies ». Bien que l’État de Palestine ne puisse être formellement qualifié de membre des Nations Unies, il est habilité, en vertu de la résolution ES-10/23, à exercer les pouvoirs et prérogatives typiques d’un membre.

D’un point de vue différent, les raisons avancées par la résolution ES-10/23 semblent concevoir ces mesures comme une forme de réaction au refus du CS de remplir son prétendu devoir d’admettre l’État de Palestine sur la base de conditions supplémentaires à celles indiquées par la résolution ES-10/23. Article 4, paragraphe 1.

Cette impression est confirmée par le libellé de la résolution, qui réitère sa conviction que « l’État de Palestine est pleinement qualifié pour devenir membre des Nations Unies conformément à l’article 4 de la Charte » et exprime « son profond regret et sa préoccupation que, le 18 « Le 21 avril 2024, un vote négatif d’un membre permanent du Conseil de sécurité a empêché l’adoption du projet de résolution soutenu par 12 membres du Conseil recommandant l’admission de l’État de Palestine à l’Organisation des Nations Unies ». Cette lecture peut être confirmée par un passage du paragraphe 3 du dispositif de la résolution, où l’AG souligne que les mesures ont été adoptées « à titre exceptionnel et sans précédent ».

Au total, divers éléments convergent vers l’hypothèse selon laquelle la résolution ES-10/23 aurait été adoptée comme une forme de réaction à un comportement illégal du Conseil de sécurité, qui aurait failli à son devoir légal d’admettre un État qui remplissait toutes les conditions. de l’article 4(1) de la Charte. On pourrait être tenté d’utiliser pour cette réaction la formule « mesures licites », qui fait écho aussi bien dans l’ARS que dans l’ARIO, à savoir les instruments visant à codifier le droit de la responsabilité internationale. L’étrangeté de cette situation est que cette réaction ne s’adresse pas à une autre personne morale de droit international mais plutôt à un autre organe de l’ordre juridique spécial de la Charte. Bien que la résolution souligne le caractère exceptionnel de cette situation, ces mesures ne peuvent pas être considérées comme un précédent, on peut raisonnablement soutenir que la réaction pourrait se répéter avant des situations similaires.

Si tel était le cas, la résolution ou la méthode qui a conduit à son adoption pourrait avoir des effets systémiques sur le système juridique de la Charte. Si l’AG considère que le CS manque à ses obligations légales au titre de la Charte, elle peut agir pour atténuer les effets de ce manquement sans toutefois porter formellement atteinte aux prérogatives exclusives conférées au CS par la Charte. À une époque où la polarisation entre les grandes puissances rend difficile l’exercice des fonctions confiées par la Charte au Conseil de sécurité, la résolution AGES-10/23 pourrait indiquer une voie raisonnablement viable pour répondre aux besoins et aux intérêts de la communauté internationale. .

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