Op-Ed : « Affaire Toya : le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit prime-t-il sur la concurrence loyale ? » par Charlotte Ducuing

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Op Ed: « Le Toya cas : le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit prime-t-il sur la concurrence loyale ? par Charlotte Ducuing

les ‘Toya affaire» (C-243/21) est la première affaire de la Cour de justice de l’Union européenne («la Cour») concernant l’interprétation de la directive 2014/61 (la «directive sur la réduction des coûts du haut débit» ou «BCRD»). Elle concerne plus particulièrement son rapport avec le droit européen des communications électroniques, à savoir les directives « accès » et « cadre » (respectivement les directives 2002/19/CE et 2002/21/CE) en vigueur avant l’entrée en vigueur du Code européen des communications électroniques. Dans cette Analyse, je présente le cas et fais de brefs commentaires critiques.

La question posée à la Cour et le contexte réglementaire

les Toya concerne la conformité de la transposition polonaise de la BCRD à la fois avec cette dernière et, plus encore, avec le droit européen des communications électroniques, à l’occasion d’un litige devant les juridictions nationales.

La BCRD prévoit une obligation pour les « opérateurs de réseau » (art. 2(1) BCRD), y compris les opérateurs de réseaux publics de communications, de répondre aux demandes raisonnables d’accès à leur infrastructure physique par un opérateur de réseau public de communications dans le but de déployer des réseaux de communications électroniques rapides (tels que 5G) (art. 3(2) et (3) BCRD). En cas d’impossibilité de parvenir à un accord sur cet accès, les deux opérateurs peuvent porter leur cas devant l’« organisme de règlement des différends » (« ORD »), qui résout le différend, y compris en fixant les conditions (financières) de l’accès, le cas échéant (art. 3(4) et (5) BCRD). Aller au-delà d’un tel ex post mécanisme de règlement des différends, la législation polonaise en question confère à une autorité nationale (le « président de l’OEC ») la compétence d’imposer ex ante accéder à des recours, même en l’absence de litige.

La question soumise à la Cour est de savoir si cette législation polonaise de transposition est conforme au droit de l’UE. La BCRD permet aux États membres d’adopter des mesures « conformément à [EU] loi qui va au-delà [such] exigences minimales» dans le même but (art. 1(3) BCRD). En outre, en cas de conflit entre les dispositions de la BCRD et celles de la loi européenne sur les communications électroniques, ces dernières prévaudront (art. 1(4) BCRD). La directive «accès» prévoit que les «autorités de régulation nationales» («ARN») doivent en principe ne pas imposer ex ante des mesures correctives, telles que le contrôle de l’accès et des prix, aux opérateurs de réseaux publics de communication dont il n’a pas été constaté qu’ils disposent d’un « pouvoir de marché significatif » (« SMP »). La directive établit une liste d’exceptions à respecter, ouais., accès, interconnexion et interopérabilité des réseaux (art. 8(3) et art. 5 de la directive accès).

La réponse de la Cour : un « oui » franc et massif

La Cour constate que la législation polonaise en cause est conforme au droit de l’Union, sur la base du raisonnement suivant.

Suivant la règle de prédominance de l’art. 1(4) BCRD, la Cour demande si la loi européenne sur les communications électroniques s’oppose à la législation polonaise. La Cour reconnaît que les ARN ne doivent en principe pas imposer ex ante recours aux opérateurs de réseaux publics de communications qui n’ont pas de PSM. Cependant, la Cour trouve des arguments dans (i.) l’existence d’exceptions pour atteindre, ouais, l’accès, l’interconnexion et l’interopérabilité (article 8, paragraphe 3, de la directive «accès») et (ii.) dans sa jurisprudence antérieure concluant que, ce faisant, les ARN doivent disposer de moyens et de compétences qui ne sont pas énumérés de manière exhaustive dans la directive «accès» directive (article 5, paragraphe 1). Aucune de ces exceptions ne requiert l’existence d’un litige préalable pour l’accès au réseau.

La Cour considère que sa conclusion est corroborée par l’interprétation téléologique des dispositions pertinentes, tant dans la BCRD que dans le droit européen des communications électroniques. D’une part, la BCRD vise à faciliter le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit en réutilisant les réseaux existants et en réduisant ainsi le coût de déploiement. En allant au-delà des exigences minimales de la BCRD, la législation polonaise est de nature à contribuer à cet objectif. D’autre part, la Cour considère que la législation polonaise est également propice aux objectifs du droit européen des communications électroniques que les ARN doivent promouvoir, tels que la concurrence durable, le renforcement des services de communications électroniques, le développement du marché intérieur et le soutien aux citoyens et aux consommateurs (directive-cadre, art. 8)).

Commentaires critiques

Tant la Cour que l’avocat général considèrent que la législation polonaise est conforme à l’art. 8(3) de la Directive Accès. Toutefois, aucune d’elles n’indique clairement comment la législation polonaise se rapporte à cette disposition et notamment si elle consiste (1) soit en une autre exception à l’interdiction générale de ex ante recours par les ARN en l’absence de PSM ou, alternativement, comme (2) une transposition poussée de l’une des exceptions déjà prévues dans cette disposition. Les conclusions de l’avocat général semblent entériner la ancien interprétation (par. 39), bien que non étayée par la lecture littérale de la disposition.

En revanche, la Cour semble approuver la dernier interprétation, en approfondissant son interprétation déjà extensive des exceptions à l’interdiction générale de ex ante recours de l’article 8(3). C’est notamment le cas en ce qui concerne les compétences des ARN en matière d’accès et d’interopérabilité (paragraphes 48-51 ; art. 5, directive accès). C’est à l’appui de cette interprétation que la Cour déclare que la législation polonaise ne promeut pas seulement l’objectif de la BCRD mais également ceux du droit européen des communications électroniques, comme la concurrence durable. Toutefois, la Cour ne fournit pas d’argument bien développé à l’appui de cette affirmation. Et fondamentalement, on pourrait soutenir, au contraire, que la disposition polonaise pourrait facilement être utilisée pour faire pencher la balance de manière disproportionnée en faveur des grands opérateurs de réseaux publics de communications au détriment des petits opérateurs et donc de la concurrence à long terme.

Enfin et dans le même ordre d’idées, la BCRD visait à trouver un équilibre entre l’objectif de déploiement de réseaux haut débit à haut débit et la protection de la liberté d’entreprise des opérateurs de réseaux. Dans son analyse d’impact, la Commission européenne a estimé que l’équilibre était maintenu grâce au caractère « business friendly » des mécanismes juridiques, qui permet aux opérateurs de négocier. Cette option a notamment été préférée à « une imposition autoritaire de la [access] conditions», ce qui porterait indûment atteinte à la liberté d’entreprise des opérateurs. Il est donc dommage qu’en se lançant dans une analyse téléologique de la BCRD, la Cour n’ait pas abordé cet élément de première importance. Tout à fait à l’opposé, le Toya l’affaire entérine la poursuite du glissement vers une imposition plus « autoritaire » des termes, en vue de faciliter le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit (voir à ce sujet The Broadband Cost Reduction Directive: A legal primer in cross-sector regulation of infrastructures – Charlotte Ducuing, 2021 (sagepub.com)). Toutefois, cela peut éventuellement se faire au détriment d’autres objectifs et valeurs, tels qu’une concurrence loyale et durable sur les marchés des communications électroniques et la liberté d’entreprise des opérateurs.

Charlotte Ducuing est doctorante au Centre pour le droit de l’informatique et de la propriété intellectuelle (CiTiP) de l’université KU Leuven.